Ça fait maintenant quatorze ans qu'Alexa Victoire Hannibal, dite Alex, est un garçon manqué. La nuit de sa naissance, elles étaient huit femmes de la famille à guetter la merveille, le prodige, le miracle promis par l'échographie : le premier garçon depuis des siècles dans une lignée exclusivement féminine. Mais tout le monde peut se tromper, même les échographies. Alors pendant toutes ces années, Alexa s'est appelée Alex, a joué au foot, s'est baignée en T-shirt, est devenue la reine du roller et a souri quand on lui disait : « Bonjour p'tit gars ! »
Or, depuis quelques jours, en se regardant dans son miroir, Alex commence à se demander à quoi ça ressemblerait d'être une fille, une vraie fille, une fille réussie. L'éveil du printemps, en quelque sorte. Mais comment le dire ? Et à qui ? Et pourquoi ? Et à quoi bon ? Et après ? Alex a su patiner à deux ans, avant de parler. C'est ce qu'elle adore dans les patins, rollers, snake-boards et autres quads : ils sont un langage à eux tout seuls. Quand on glisse, le vendredi soir, le long de l'avenue d'Italie, on peut se taire. Les arabesques en disent long. Les pleins et les déliés des mouvements sont plus éloquents que des phrases. Surtout quand on sait trop bien ce qu'on voudrait crier à la terre entière, et plus particulièrement à Abdel Leroy-Merlin, le pote de toujours, qui lui ne sait pas patiner d'ailleurs. Mais qui écoute et qui observe. Le problème, si Alex se change subitement en fille, comme un vieux crapaud en princesse, c'est que ça va se voir et se commenter, dans la cour du collège où les langues de vipère passent leur temps à décortiquer la vie privée des filles. Le problème, si Alex ne fait rien, c'est qu'elle sera toujours privée de la vie privée des filles. Mais il arrive que le hasard, le printemps et les rollers arrangent quelque peu les choses.